Pr ELY Mustapha
- Tout utilisateur de téléphonie mobile ou de quelconque service fourni
par les opérateurs de ce secteur en Mauritanie, souffre de la mauvaise
qualité des prestations. Réseau médiocre, signal inaudible, débit
trainant, connexion aléatoire, coupures intempestives, durées de
communication réduites, assistance inopérante etc.
Depuis des années cette situation perdure, et depuis des années les
opérateurs de téléphonie occupent la scène et engrangent leurs
bénéfices…et chaque année, depuis 2007, l’autorité de régulation
prononce des sanctions pécuniaires à leur égard pour non-respect de leur
cahier des charges et, pourtant, rien n’a changé.
Et tout utilisateur doué de raison vous dira, que toute compagnie
rationnelle devrait pallier ses défaillances et éviter de se faire
condamner pécuniairement de façon si périodique. Cela grèverait et ses
moyens et sa crédibilité.
Eh bien, non. Les opérateurs de téléphonie en Mauritanie, ont une
rationalité toute autre. Et c’est cette « rationalité » que nous avons
voulu découvrir. Découvrir le pourquoi et le comment d’une telle
attitude qui défie les lois de la gestion financière et commerciale et
du management des organisations.
Et le résultat auquel on aboutit est d’un incroyable cynisme…commercial.
Et ce résultat d’analyse nous le déduisons d’un constat chiffré (I) et
d’une analyse empirique (III) qui nous conduisent à dire que ces
opérateurs ont trouvé dans la commission de l’infraction… une gestion
rentable de leurs affaires.
Notre recherche a abouti à la conclusion que l’illégalité… fait partie
de la stratégie commerciale de ces opérateurs et qu’elle est fort
payante !
I- Le constat : l’infraction permanente
« Les résultats de cette enquête montrent que les opérateurs Mattel,
Mauritel et Chinguitel restent toujours défaillants par rapport à leurs
engagements, dans plusieurs villes et localités. ».
C’est la conclusion de l’enquête réalisée du 16 Novembre au 13 Décembre
2019 par la Direction des Télécommunications et de la Poste et portant
sur Le Contrôle de la qualité de service des opérateurs des
télécommunications : MATTEL , MAURITEL et CHINGUITEL.
Enquête qui a porté sur l’évaluation et le contrôle de la qualité du
service de la téléphonie mobile et de certaines performances du réseau
3G, notamment le service de téléchargement d’un fichier en mode FTP
Un constat sans appel.
Ce même constat a été fait par des missions similaires en 2007, 2008,
2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019…et
toutes ont conduit à des sanctions pécuniaires des opérateurs de
télécommunications!
Et le dernier rapport 2020 d’une mission de contrôle de la qualité des
services voix et data Mattel, Mauritel et Chinguitel du 17 avril au 22
Mai 2020 vient de tomber et constate-t-il encore ?
Je vous le donne en mille : « Les résultats de cette mission montrent
l’existence toujours des manquements par rapport à certains des
engagements, prescrits dans les cahiers des charges des opérateurs, dans
plusieurs villes, localités et axes routiers. » ! (Noter ce « toujours »
dans le constat de l’Autorité de régulation, qui dénote d’une pratique
officielle et reconnue de fait !)
Le même constat que celui fait toutes les années précédentes ! Effarent n’est-ce pas ?
Et comme d’habitude, depuis des années, l’Autorité de régulation les
informe « de son intention d’appliquer des sanctions en raison des
manquements constatés et leur donnant la possibilité de consulter le
dossier afin de présenter les observations éventuelles, dans un délai de
dix jours. ».
Et la sanction pécuniaire suivra certainement, comme pour toutes les
années précédentes Un processus bien huilé, orchestré et dont les
objectifs cachés ne disent pas leur nom.
La question est : pourquoi, ces compagnies restent de façon permanente dans l’infractionnel ?
Pourquoi subissent-elles chaque année, des sanctions pécuniaires pour les mêmes infractions à leur cahier des charges ?
Pourquoi depuis des années n’ont-elles pas remédié à ces infractions ?
Pour comprendre cela prenons quelques chiffres.
A quelles sanctions pécuniaires ont été soumises en 2019 ces 3 compagnies ?
143, 7 millions de MRU !
Et quel est le chiffre d’affaire de ces compagnies, réalisé sur le
marché du mobile, en 2018 (base de calcul de la condamnation
pécuniaire)?
9, 08 milliards de MRU ! Soit plus de 96 % du chiffre d’affaires global du secteur des télécommunications !
On comprend donc que ces opérateurs préfèrent ignorer leurs cahiers des
charges, offrir des services en qualité et en quantité médiocres, pomper
le revenu du citoyen s’enrichir et payer des condamnations pécuniaires
dérisoires par rapport à leur faramineux chiffre d’affaire. En somme,
rester dans l’infraction…rentable.
II- L’analyse : L’infraction rentable
Comment économiquement réalisent-ils cela ?
Ces opérateurs gèrent le rapport « investissement/revenu » de leur activité.
Aussi pour gagner plus, il faut investir moins surtout lorsque
l’investissement n’est pas rentable …même s’il est exigé par leurs
cahiers des charges !
Ils réalisent cela par l’alignement de leur politique d’investissement
sur un indicateur qui est le Revenu Moyen par Utilisateur (ARPU- Average
Revenue Per User).
Ce rapport niveau d’INVESTISSEMNT /ARPU est le nœud gordien de leur stratégie.
Ainsi, face à la faiblesse des revenus des utilisateurs, déjà fortement
entamés, par le pompage qu’ils réalisent, les opérateurs gèrent le
rapport COUT/SERVICE. Le service rendu doit permettre de gagner sur son
coût.
Ainsi les opérateurs ont deux options :
- Soit ils augmentent le prix du service pour couvrir son coût et
dégager un bénéfice, ce qui, face à des revenus faibles, n’est pas
conseillé ;
- Soit fixer un prix à la portée du revenu moyen considéré (ARPU), en
offrant un service dont le coût est faible pour l’opérateur lui
permettant de faire des bénéfices ; mais pour pouvoir faire ces
bénéfices et avoir un coût faible, l’opérateur réduit la qualité (débit,
fluidité, stabilité etc.) et la quantité (zones couvertes) du service
Au niveau de la qualité : on lésinera sur le recrutement en nombre de
personnel qualifié et compétent pour l’amélioration, la bonne gestion et
la maintenance des équipements et du réseau, on lésine sur sa formation
et sa promotion technique et professionnelle. On « rationne » la bande
passante, on « gère » les débits et l’on manipule la répartition des
charges suivant les zones couvertes.
Les opérateurs, malgré leur chiffre d’affaire, employaient en 2018, 702
personnes (en Contrat CDD et CDI) ! En baisse par rapport à 2014,
puisque ce personnel était de 732 employés.
Au niveau de la quantité : Ont réduit les investissements en
infrastructures et en équipement, on maintien les équipements non
performants, on ne renouvelle pas le parc logiciel, et la licence, on
réduit l’offre matérielle (routeurs, logiciels etc.) avec les
abonnements, on ne couvre que certaines zones « rentables », on
n’investit pas dans les extensions d’équipements et d’infrastructure
vers d’autres zones.
Stratégie payante, comme le montre l’évolution de leur chiffre d’affaire
total. 2014 (8, 4 milliards), 2015 (8,3 Milliards), 2016 (8, 6
Milliards) 2017 (9,1 Milliards) et 2018 (9,4 Milliards).
Ainsi les opérateurs de téléphonie ont développé une stratégie
commerciale qui consiste en une « modulation » permanente dans leur
offre de service sur la base du rapport COUT/SERVICE rapporté au niveau
du Revenu Moyen des Utilisateurs (ARPU).
C’est autant dire que pour continuer à opérer, et accroitre leurs
bénéfices, les opérateurs seront en perpétuelle infraction. Et comme la
sanction (qui ne peut être supérieure à 1% du chiffre d’affaire)
rapportée au chiffre d’affaire lui-même est dérisoire, alors ils
continueront leurs pratiques.
L’infraction rentable, reste l’explication la plus plausible de tout ce
qui arrive dans ce secteur de la téléphonie, comme médiocrité des
services, de négligence de l’utilisateur et de gestion calamiteuse des
réseaux et communication et des débits.
Exposant le citoyen à un siphonage permanent de ses ressources et à son
maintien dans une dépendance permanentes de ces opérateurs qui entravent
le développement de toute l’économie nationale.
La solution : le droit au secours de l’économie
Il est impératif, que l’article 82 de la loi 2013-025 du 15 juillet 2013
soit modifié pour accroitre sensiblement le taux de la condamnation
pécuniaire et le porter de 1% à au moins 10% du chiffre d’affaires de
l’opérateur avec une gradation de 20, 30 et 40% en cas de récidives (au
lieu de 2% seulement, en cas de récidive, prévus par ladite loi).
C’est l’unique manière par laquelle le comportement, basé sur ce qu’on a
appelé « l’infraction rentable », puisse être éradiqué et pousser les
opérateurs de téléphonie à souscrire à leurs cahiers des charges et à
offrir et maintenir des services appréciables en qualité et en quantité.
La répétition annuelle, de ces infractions, les condamnations
pécuniaires annuelles des opérateurs de téléphonie, sans que ces
derniers ne renoncent à leurs pratiques, montre une chose, c’est qu’ils y
gagnent beaucoup, énormément. Un cynisme commercial qui explique la
médiocrité des services du secteur et la violation des droits et des
moyens de l’utilisateur.
En effet, force est désormais de considérer que les opérateurs de
téléphonie, en adoptant leur cynique stratégie commerciale considèrent
que la sanction pécuniaire qu’ils subissent chaque année, et qui ne peut
dépasser les 1% de leur chiffre d’affaire, est un tribut qu’il payent à
l’Etat pour continuer à gagner plus dans l’illégalité.
En définitive, il faut faire l’économie de ce droit en abrogeant ce droit à l’économie…illégale
Pr ELY Mustapha