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- « …il faut revenir à la Constitution et plus précisément à l’article
93 de la Constitution qui détermine les conditions dans lesquelles les
membres de l’Exécutif à savoir le président de la République et les
membres du gouvernement peuvent ou non être jugés. »
Le professeur Lô Gourmo l’un des meilleurs experts du droit en
Mauritanie éclaire notre lanterne sur quelques aspects techniques du
dossier judiciaire de l’ex président Mohamed Ould Abdel Aziz.
Professeur Lô l’ancien président peut-il être jugé par les juridictions ordinaires?
Alors cette question elle est la question centrale ; savoir si le
président de la République peut-être jugé par les juridictions
ordinaires. Alors ici pour répondre à la question, il faut revenir à la
Constitution et plus précisément à l’article 93 de la Constitution qui
détermine les conditions dans lesquelles les membres de l’Exécutif à
savoir le président de la République et les membres du gouvernement
peuvent ou non être jugés.
C’est l’article 93 de la constitution
qui détermine ces conditions. Alors que dit cet article 93 ? L’article
93 dit, je cite : « Le président de la République n’est responsables des
actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute
trahison.
Alors tout le problème évidemment, les contradictions
en fait portent sur l’interprétation à donner à cet article 93. Alors,
il est clair que, lorsque des actes qualifiés d’actes accomplis dans
l’exercice de ses fonctions par le président de la République, ce qui
est clairement ici indiqué, c’est que, il n’a qu’une seule juridiction
qui peut en ce moment là le juger, c’est une juridiction hors du droit
commun, c’est la juridiction de la Haute Cour de Justice.
Alors
en ce moment là cette juridiction est compétente puisque les actes en
question seront considérés comme étant des actes de haute trahison,
c’est le terme qui est utilisé par cet article 93.
Autrement
dit, le chef de l’Etat ne peut être jugé pour les actes qu’il a accompli
dans l’exercice de ses fonctions que par la Haute Cour de Justice. En
effet, celle-ci est compétente pour tout ce qui concerne les actes
qualifiés de haute trahison.
Donc il n’y a que les actes de
haute trahison qui sont faits par le président de la République qui
peuvent faire l’objet d’un jugement devant la Haute Cour de Justice.
Mais ce qui est important ici et qui est le point de départ, c’est de
savoir de quels actes il s’agit.
Quels sont les actes qui
peuvent faire l’objet d’une telle mise de responsabilité devant Haute
Cour de Justice. L’article 93 nous les précise, ce sont les actes
accomplis dans l’exercice de ses fonctions par le chef de l’Etat.
De quels actes s’agit-il évidement il s’agit de tous les actes qu’on ne
peut pas rattacher à l’exercice de la fonction de chef de l’Etat. Tous
les actes que le chef de l’Etat ne peut pas avoir accompli en tant que
chef de l’Etat, parce que ils ne relèvent pas en vérité de la mission ou
des missions qui sont assignées par la Constitution.
C’est
parce que il y a des actes que, par définition le chef de l’Etat
accomplit que lorsqu’il agit en trahissant ces actes là qu’il peut être
considéré comme ayant accompli ou fait des actes de haute trahison.
Mais
lorsqu’il s’agit de ces actes, cette deuxième catégorie d’actes qu’il
accomplit comme étant des actes qui ne sont pas du tout du ressort
normal ou de ce qui est attendu d’un chef de l’Etat, lorsqu’il agit
comme vous et moi dans le cadre de la défense de ses intérêts
strictement privés ; lorsqu’il agit comme un individu lambda, agissant
pour la défense stricte de ses intérêts privés ou pour pouvoir ou
chercher à défendre des intérêts privés, en ce moment là, ces actes là
ne relèvent plus de la justice de haute trahison que constitue la Haute
Cour de Justice mais ce sont des actes qui vont relever de juridictions
ordinaires.
Donc c’est cette division entre actes accomplis dans l’exercice de ses
fonctions prévu par l’article 93 et les actes qui sont accomplis hors de
l’exercice de la fonction de président de la République, donc c’est
cette division entre ces deux catégories qui est essentielle pour
définir la compétence des juridictions ordinaires ou de la juridiction
d’exception que constitue la Haute Cour de Justice.
Ce n’est pas tous les actes que le président a accompli dans sa vie
pendant la période où il est chef de l’Etat qui vont être considérés
comme des actes de haute trahison. Ici il est clairement indiqué qu’il
n’y a que les actes qu’il a accomplis pendant l’exercice de ses
fonctions.
Cela veut dire donc qu’il y a une deuxième catégorie
d’actes qui eux, ne relèvent plus, ne relèvent pas du tout de la Haute
Cour de Justice, ce sont les actes qui ne rentrent pas dans le cadre de
son exercice de ses fonctions.
Donc ce sont des actes qu’un de
nos collègues qui est d’ailleurs l’avocat même de Ould Abdel Aziz qui
dit que, ce sont des actes de nature privés, ce sont des actes privés,
accomplis par le chef de l’Etat ; et ce sont des actes qui ne rentrent
pas dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.
En ce qui concerne cette division des actes accomplis par le chef de
l’Etat en deux catégories d’actes, cette division là, tout le monde est
d’accord là-dessus. Même Me Taghiyoulah Eida, mon collègue qui défend
donc l’ancien président de la République est aussi d’accord avec cette
division en deux catégories.
Reste à savoir quels sont les actes
qui entrent dans la première catégorie et quels sont les actes qui
rentrent dans la seconde catégorie. Alors il est évident que les actes
que le chef de l’Etat accomplit dans l’exercice de la vie courante,
comme vous et moi, ce seront des actes qui seront de la deuxième
catégorie, c’est-à-dire des actes qui relèveront de la justice
ordinaire.
Un chef de l’Etat qui vole qui fait des actes de vol, de trafic
d’influence, de corruption ou qui falsifie des documents ou qui agit
comme simple trafiquant, trafiquant de drogue, ou bien qui vole de
l’électricité, qui refuse de payer les impôts, etc tous actes là
relèvent des actes privés.
Ce sont des actes qui ne sont pas
rattachables à la fonction. Et pour tous ces actes là, il est évident
que c’est la justice ordinaire qui va être saisie. Pour tous ces actes
on ne peut pas parler de haute trahison.
Donc sur ce plan là il
n’y a pas de discussion possible. Parce que on voit le chef de l’Etat
échappant à tous ces actes là au moment où il est en fonction car ce
sont des actes de la justice ordinaire. Et j’insiste pour dire que même
les avocats de Ould Abdel Aziz sont d’accord là-dessus.
Le seul
problème maintenant c’est de savoir est ce qu’ils seront conséquents
avec ça. C’est là où la question des juridictions ordinaires revêt une
importance capitale, parce que ici, ce sera évidemment au juge
d’interpréter sa compétence au regard de ces deux catégories d’actes qui
existent et dont chacune a un régime juridique qui lui est propre.
Donc il ne fait pas l’objet d’un doute que les éléments qui ont été
relevé par la commission d’enquête parlementaire, il est évident qu’il y
a beaucoup d’actes que le chef de l’état a accompli ou qui ont été
accomplis en son nom, ce sont ces actes là qui relèvent de la justice
ordinaire.
Par rapport à ces actes qui entrent dans le cadre des
crimes économiques, le parquet a ouvert les enquêtes, ces crimes
accomplis dans le cadre des activités privés du chef de l’Etat qui
n’agit pas ici comme un chef d’état exerçant sa mission de service
public ou d’intérêt général, ces actes là vont entrer dans le cadre de
la compétence de la justice. C’est pour cela que la justice peut engager
effectivement une procédure d’enquête qui pourra déboucher sur une mise
en accusation ou un classement sans suite.
Que vous inspire l’attitude des avocats français de Aziz?
Là où le bas blesse c’est lorsque ces gens là arrivent ici et ne
respectent pas un minimum de déontologie. Premièrement quand vous venez
dans un pays où vous allez exercer comme avocat pour une affaire donnée,
la première des choses c’est d’abord de respecter les règles qui
organisent la profession d’avocat dans le pays en question.
Et
on a un bâtonnier, on a un barreau. Ils contactent le bâtonnier, avec le
geste de courtoisie qui consiste à lui rendre visite. Ça c’est dans la
tradition. On ne lui demande pas une allégeance quelconque, nous les
avocats en Mauritanie on n’a pas une allégeance vis-à-vis du bâtonnier.
Donc ça c’est des choses qu’on respecte partout ; or ils n’ont pas
respecté ça et c’est quelque chose qui nous a semblé inacceptable.
Ce qu’on leur reproche le plus, c’est d’être venus pour, sur une affaire
aussi sérieuse que celle qui concerne les activités d’une Commission
d’Enquête Parlementaire (CEP). Le Parlement est l’une des plus hautes
institutions de la Mauritanie.
Donc piétiner cela ou vouloir
montrer que cela est tout à fait anodin ou vulgaire, c’est quelque chose
d’inacceptable. Alors évidemment je veux parler de l’ensemble des
conditions dans lesquelles cette affaire là a été posée depuis la CEP
jusqu’à devant le Parquet, et en considérant que c’était une farce.
C’est un jugement global inacceptable et qui porte atteinte au respect
dû aux institutions en Mauritanie. Mais surtout par des avocats
étrangers, c’est cela qui me semble être pour ma part le plus
inacceptable.
Donc autant ils peuvent avoir leur propre point de
vue sur la façon dont les choses se passent ; relever les
contradictions, les dysfonctionnements, etc ; critiquer le non respect
de la loi, etc par les uns et les autres par exemple, c’est leur droit
le plus absolu ; autant ils doivent le faire dans le cadre d’un respect
des institutions.
Donc, il ne faut pas qu’ils donnent
l’impression qu’ils viennent pour porter un jugement, un regard un peu
condescendant ou léger vis-à-vis de nos institutions ; de la même façon
qu’ils doivent respecter les institutions de tous les pays, ils doivent
respecter les institutions de notre pays aussi. C’est surtout par
rapport à cet aspect là que le problème s’est posé et que mon jugement
sur eux est un jugement que je considère comme un jugement critique à
l’égard de confrères.
Pensez-vous que Aziz et ses compagnons pourront bénéficier d’un procès équitable?
Est-ce que je pense que le président Aziz va bénéficier d’un procès
équitable, c’est ce qu’il faut espérer. Parce que Ould Abdel Aziz est un
ancien chef de l’Etat qui a exercé pendant douze ans le pouvoir, d’une
façon ou d’une autre ; et qui lui-même n’a pas été un bon exemple de
défenseur des procès équitables ; pour autant il est un citoyen
mauritanien et il a le droit effectivement à un procès équitable.
Et
tous ceux qui défendent un état de droit dans notre pays doivent
défendre que les principes de procès équitables soient respectés. Moi ce
que je dois dire c’est que, au moins dans la phase préliminaire on a
respecté effectivement les règles de base qui peuvent mener à un procès
équitable.
Toute la phase de l’enquête préliminaire, le chef de
l’Etat était mis dans les conditions strictes qui sont suivies en
Mauritanie durant la garde à vue d’ailleurs sous son règne. Il a même eu
droit à un avocat, pratiquement dès les premiers moments où il a été
arrêté, après la demande un peu fébrile de ses défenseurs.
C’est
d’ailleurs quelque chose qu’il n’acceptait pas par ailleurs lui-même
mais le fait qu’il en ait bénéficié c’est une bonne chose et j’espère
que cela va désormais être la pratique. La durée de la garde à vue aussi
a été stricte et respectée par le parquet, dans le cadre de l’enquête
préliminaire sur les crimes économiques.
Le parquet a calculé à
la minute près le moment durant lequel il pouvait être mis en garde à
vue et le moment pendant lequel il devait être libéré. Ses partisans
sont très contents car dans une procédure d’enquête il vaut mieux être
chez soi que d’être mis dans un endroit confiné comme malheureusement
nous y sommes habitués dans ce pays.
Moi personnellement je considère que c’est bien de rester chez soi avec
les moyens de contrôle nécessaire. C’est humainement mieux d’être dans
cette situation que d’être dans une situation où on le voit, les
infrastructures, les équipements, etc, les locaux de l’administration,
de la police, etc, on sait que malheureusement c’est loin d’être des
locaux vraiment opérationnels et qui donnent un minimum de dignité à
ceux qui s’y trouvent.
C’est d’ailleurs une occasion peut-être
là aussi, d’ouvrir un nouveau chantier, de revoir dans notre pays,
l’ensemble des locaux utilisés par la police, par les enquêteurs, pour
que la décence et la dignité humaine soient respectées. Ici, je dois
dire pour ma part que l’ancien chef de l’Etat a bénéficié de meilleures
conditions possibles par rapport à tous ceux qui ont vécu l’enfer lors
des enquêtes de ce type dans ce pays.
Maintenant est-ce que cela
prédispose à un procès équitable ? En tout cas nous, nous veillerons à
ce que ce procès soit équitable, même si ce sont nos adversaires. Même
si pour ma part, je pense qu’il faut aller qu’on aille jusqu’au bout
pour savoir ce qui s’est passé en matière de gestion et s’il y a eu
détournements, corruption, etc, les biens de notre peuple lui reviennent
; que ceux qui sont responsables de cette situation soient mis en
demeure pour restituer ce qu’ils ont pris. Même si je trouve tout à fait
normal d’aller dans ce sens je pense que cela devrait se passer dans la
justice et la transparence.
Propos recueillis par Bakari Guèye/
Source: Journal “Essada Echos”/N°03 du 26/08/2020