Le
Calame : L’ancien président, qui avait choisi de garder le silence face
aux enquêteurs de la CEP, des limiers de la police économique et devant
la justice est sorti de son silence, à travers une lettre ouverte
adressée à l’opinion mauritanienne et une interview dans Jeune Afrique.
On se souvient que l’un de ses conseils avait prévenu, il y a quelque
temps que le jour où leur client décidera de parler, c’est toute la
République qui va trembler. Ce moment serait-il arrivé ? Pourquoi Ould
Abdel Aziz a-t-il choisi de rompre le silence, maintenant ? Qu’ont
apporté ces sorties médiatiques ?
Me Lô Gourmo Abdoul : Ould Abdel Aziz, dès le départ
de cette affaire judiciaire, a agi comme s’il était le maître du
monde ! Habitué aux coups de force et à l’obéissance aveugle de son
entourage, il avait fini par croire qu’il pouvait dire et faire tout ce
qu’il voulait, en toute impunité. Ainsi s’expliquait son silence qui
était moins l’expression d’une ligne de défense en justice que celle
d’un profond mépris à l’égard de l’ensemble des institutions de la
République et de ceux qui en ont la charge. Le mépris des gens : voilà
sa profonde maladie, une pathologie incurable. Sa « lettre ouverte », sa
dernière interview à Jeune Afrique comme ses précédentes sorties
médiatiques sont toutes de la même facture : une suite d’injures, de
contrevérités et d’insinuations calomnieuses ou d’accusations
diffamatoires à l’égard de tout le monde, de toute la classe politique
inclusivement, particulièrement l’opposition démocratique qu’il a
opprimée et honnie pendant plus d’une décennie, qui, cependant a
résisté à tous ses coups bas et a pu sortir la tête haute, de toutes les
campagnes d’ « encerclement et d’extermination » qu’il n’a jamais cessé
de mener contre elle. Après le silence méprisant, voilà la seconde
étape : celle du bavardage inconsistant et des menaces et tentatives de
chantage. « Retenez moi sinon je vais parler et le monde va
s’écrouler» ! Justement, tout le monde, pouvoir comme opposition, le
parlement, la police, la justice, l’homme de la rue…tout le monde
demande qu’il parle ! Souvenez-vous de ses premières sorties
médiatiques, au tout début du processus d’enquête parlementaire. M. Ould
Abdel Aziz n’avait-il pas nargué les députés en les exhortant d’aller
jusqu’au bout de leur démarche tout en insinuant que, les connaissant
« tous », ils n’oseraient pas le faire ? Il avait DEJA promis
de faire des révélations sur tout et sur tout le monde. La résolution
de l’Assemblée qui l’accable a été transmise au parquet à la
quasi-unanimité du Parlement. Le monde n’a pas été ébranlé pour autant.
Et lui-même a fini par interrompre la petite guérilla juridique très
pénible à laquelle il avait contraint ses avocats, en acceptant
finalement de parler, sans se cacher derrière le fameux article 93
favori de la constitution. Pourquoi ? Parce que le coup de bluff de ce
pokériste invétéré, semble-t-il, n’a pas marché. Donc, M. Ould Abdel
Aziz n’a pas « décidé » de parler : il a lamentablement échoué à garder
le silence face à l’énormité du poids des accusations, la gravité des
charges qui pèsent sur lui et l’évidence des preuves qui les
accompagnent. En fait, il a voulu faire du « Jaay doole » (jeu de
muscles) comme disent les Olofs. Il a échoué. Voilà ce que lui
apportent ses différentes sorties médiatiques dont chacune montre
jusqu’à quel point le « Roi est nu » et l’urgence pour lui de sortir de
sa bulle pour faire face à son destin judiciaire…
Beaucoup de mauritaniens ne comprennent pas pourquoi Ould
Abdel Aziz se permet de narguer le pouvoir de son successeur Ould
Ghazwani. L’opinion se demande si le pouvoir n’a pas peur de lui, s’il
n’a pas lui aussi des choses à se reprocher pour avoir travaillé avec
lui pendant plus de dix ans. Des sceptiques vous diront même redouter un
complot des deux hommes sur le dos des mauritaniens. Comprenez-vous
ces interrogations ?
Ne s’exprime ainsi que celui qui ignore l’origine et les méandres du
processus d’enquête parlementaire et de ses suites actuelles. Au début,
lorsque la demande d’enquête parlementaire a été déposée à l’Assemblée
par les quelques députés de l’opposition, beaucoup de monde était
sceptique quant à ce qui en sortirait. Beaucoup de thèses complotistes
ou simplement fantaisistes furent lancées dans une opinion publique qui
ne connaissait aucun précédent de ce genre sous nos cieux. L’opposition
avait placé la barre haute et avait interpellé le nouveau chef de l’Etat
sur son éthique de respect de ses engagements de transparence dans la
gestion des affaires. L’attitude de M. Ould Abdel Aziz presque au même
moment, par sa suffisance, son manque de discernement à l’égard de ses
propres amis ou alliés du camp du pouvoir donnera de la consistance à
l’initiative de l’opposition. Il n’y avait aucune raison pour que les
députés de « sa » majorité le suivent alors même qu’il les abreuvait
d’insultes et les accablaient d’insanités au quotidien. De la même
manière que personne n’a comploté (sinon lui-même par son attitude
cavalière contre eux !) pour amener les sénateurs de son propre camp à
leur vote de défiance à son égard, de la même manière également il a
« libéré » les consciences des uns et des autres vis-à-vis de lui, à
commencer par « ses » députés. Lui-même révèle dans sa dernière
interview à Jeune Afrique, comment il pouvait être insupportablement
arrogant à l’égard même d’un Chef d’Etat en exercice et, de surcroît, un
compagnon d’armes de longue date !
Au vu de ces réalités tangibles, comment ne pas comprendre la gravité
de ce qui arrive aujourd’hui à un ancien Chef d’Etat qui pourrait bien
entrer dans notre histoire par la petite porte de derrière… ?
Pour le reste, j’ai la conviction que M. Ould Abdel Aziz bluffe et
pousse les mauritaniens au doute. Pour rien. Ou alors, qu’il parle ! On
verra bien si la terre va trembler…
Dans ces différentes sorties, Ould Abdel Aziz charge le
pouvoir, le qualifiant de corrompu, de fossoyeur de la démocratie et de
l’unité nationale, mais nie toutes les charges portées contre lui, ses
proches et ses anciens collaborateurs ; il continue à contester la
légalité de la CEP et toute la procédure donc. Que vous inspire cette
salve ?
La seule voie de défense possible pour les défenseurs de M. Ould
Abdel Aziz est celle de l’absurde ! Contester tout, créer la confusion
dans l’esprit des gens en répétant contresens et non-sens juridiques
en rupture avec toute logique, toute rationalité. Ainsi, pour soigner
sa fuite en avant et refuser de répondre aux demandes de la commission
d’enquête parlementaire, l’ancien Chef de l’Etat a amené ses avocats à
développer une thèse que nul juriste ne peut sérieusement défendre : à
savoir que la Commission d’enquête parlementaire est inconstitutionnelle
puisqu’elle n’existe que dans le Règlement de l’Assemblée et non …dans
la constitution ! Que donc toute structure, instance, organe,
institution ou entité qui ne figurent pas dans la constitution sont
invalides, illégaux, inconstitutionnels. Cette thèse incroyablement
absurde a été encore défendue avec un air faussement convaincu, par M.
Ould Abdel Aziz dans sa dernière interview.
Quant aux accusations qu’il porte contre le pouvoir actuel à propos
de la corruption, de la démocratie et de l’unité nationale, on peut dire
qu’on est là, en plein dans l’ironie de l’histoire, au sens presque
exact de la formule. Dans chacun des domaines cités, nous ne sortons
toujours pas du système qu’il a tricoté de ses mains pendant plus d’une
décennie et qui est précisément aux antipodes de ce qu’il prétend avoir
combattu ou instauré. Jamais la corruption n’a été aussi intense que
sous son régime, dépassant de loin, en poids et en hauteur, la Kedia
d’Idjil. Jamais la démocratie n’a été autant violentée, ni l’unité
nationale autant déchirée. Putschiste multirécidiviste, ayant tenu en
otage la République grâce à un Basep transformé en une simple milice au
service de ses humeurs et de ses ambitions. Un affairiste monopoliste
qui a bâti un empire économique et politique clanique, ethnocentrique et
raciste dont la persistance menace la survie de notre nation. Voilà ce
que fut le régime de M. Ould Abdel Aziz. Voilà ce dont on a encore du
mal à en sortir et dont il faut pourtant sortir pour exorciser nos maux
et prendre le chemin de la vraie démocratie, de l’unité nationale
authentique et du développement durable et partagé.
Dans ces adresses, l’ancien président se plaint de n’avoir pas accès à son dossier. Qu’en est-il à votre avis ?
Je ne sais vraiment pas si M. Ould Abdel Aziz a accédé ou non à son
dossier. Mais je sais qu’il a refusé de participer à toute procédure
d’enquête et rejeté toute démarche de coopération avec les autorités
compétentes (parlementaires et policières) pour répondre aux questions
et faire valoir et sauvegarder ses droits. C’est la ligne de défense
choisie et annoncée avec un grand tapage par ses avocats et par
lui-même. Cette ligne est-elle cohérente avec la préoccupation de ce que
pourrait contenir un « dossier » ? L’accès à son dossier est un droit
impératif de procédure et est un préalable au principe du
contradictoire, fondement de tout procès équitable. Reste à savoir si la
revendication de cet accès au dossier ne constitue pas une sorte de
fourberie juridique dès lors que l’on a soi-même refusé d’y accéder, en
se murant dans le rejet a priori, le silence tapageur et le déni de
l’évidence….
Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame