Le Calame : Les acteurs politiques de la
majorité et de l’opposition explorent, depuis quelque temps, les voies
et moyens d’organiser un dialogue national inclusif. Le RAG est-il
preneur ?
Oumar Yali : Je voudrais, dans ma réponse à cette
première question, rappeler qu'au lendemain même des résultats de la
dernière élection présidentielle, nous sommes arrivés, au parti
Refondation pour une Action Globale (RAG), à la conclusion que la
Mauritanie était plongée dans une situation critique à dimension
multiple que seuls la concertation, le dialogue, la patience et
l'ouverture peuvent régler, dans l'intérêt supérieur de la Nation et des
Mauritaniens. La recherche actuelle, par les partis de l'opposition et
de la majorité, des voies et moyens pour un dialogue inclusif n'est que
le prolongement des démarches déjà déclenchées par le parti RAG, dès
Juillet 2018. Formation politique résolument démocrate, c’est
strictement par les voies et moyens démocratiques que RAG entend le
règlement des questions nationales. Il est donc partie prenante pour
explorer toutes voies et moyens de nature à permettre l’organisation
d’un dialogue national inclusif.
- Si les manœuvres aboutissent, quels sont, pour le RAG, les questions nationales prioritaires à régler par le conclave ?
- Permettez-moi tout d'abord de substituer le vocable « efforts » à
celui de « manœuvres » pour évacuer la dose péjorative que celui-ci
pourrait contenir. Je dirai alors que si les efforts que je qualifie de
louables aboutissent, les questions prioritaires que le parti RAG espère
voir résolues sont de trois types.
En un, l'unité, la concorde et la cohabitation nationales, basées sur
la reconnaissance effective au droit à la différence, l'égalité de tous
les citoyens en droits et en devoirs, la justice, l'éradication
définitive de l'esclavage et du racisme érigé en système d'État, le
règlement du passif humanitaire, l'éducation, la santé, l'emploi et un
niveau de vie convenable aux citoyens en général, aux plus faibles, aux
démunis et aux handicapés en particulier.
En deux, la démocratie. L'absence de démocratie véritable et de
transparence électorale, la mise en place d’une démocratie de façade ou
taillée sur mesure ont été, le plus souvent, à l'origine de
l'instabilité des pays, des inégalités, des injustices, etc. Notre
démocratie ne fait nullement exception à la règle. Il nous faut donc en
réviser les textes, aussi bien en amont qu'en aval.
En trois, la bonne gouvernance. Dans un pays comme la Mauritanie
regorgeant de ressources multiples et variées, un pays dont la
population n'atteint même pas cinq millions d'habitants, un pays dont le
peuple possède des atouts importants : même religion, longue histoire
commune dans un territoire commun… ; chaque citoyen devrait vivre très
heureux. Mais les ressources sont mal gérées et mal réparties, la
pauvreté accable une écrasante majorité des citoyens, la gabegie et le
détournement touchent tous les secteurs ; l'éducation, la santé,
l'emploi et la justice sont dégradés.
- Le dossier dit « de la Décennie » fait son bonhomme de
chemin. Ould Abdel Aziz et douze de ses anciens collaborateurs et
proches ont été inculpés et placés sous « contrôle judiciaire strict ».
C’est une première dans le pays. Comment l’appréciez-vous ?
- Ce « dossier de la Décennie », comme il est convenu de l'appeler, a
fait couler beaucoup d'encre et autant de salive. Il a cheminé des
travaux d'une commission d'enquête parlementaire au placement sous
contrôle judiciaire strict de l'ex-président Mohamed ould Abdel Aziz et
douze de ses collaborateurs et proches. À ma connaissance, il n'y a
jamais eu, dans l’histoire de la Mauritanie, une question d'aussi grande
envergure : un ancien chef d'Etat et de très hauts responsables
nationaux accusés de complicité dans une mauvaise et criante affaire de
gestion du pays. Nul n’ignore qu'ici, en Mauritanie, nous avons été
depuis toujours habitués à la mauvaise gestion du bien public, aux
détournements, à la confusion entre le bien commun et la propriété
privée. Mais ceux qui seraient tentés de toucher au bien public se
rappelleront désormais certainement le dicton de chez nous : « Si
l'ennemi attaque par la montagne, par où fuir, alors ? » Cette dimension
morale d’avertissement personnel n’a jamais atteint l’ampleur publique
d'aujourd'hui. En d'autres termes, qu’un Président et ses collaborateurs
soient traînés publiquement devant la justice pour avoir mal géré ou
détourné les deniers publics, il y a de quoi nous méfier, chacun d’entre
nous.
- Dans deux récentes sorties médiatiques, l’ex-président Ould
Abdel Aziz a vertement accusé le pouvoir de son successeur de
« corrompu et de « fossoyeur de l’unité nationale », tout en critiquant
l’opposition, et s’est positionné en seule alternative pour le pays. Que
pensez-vous de cette posture de l’ancien Raïs ?
- Il me semble qu'un accusé, à tort ou à raison, cherche par tous les
moyens à se défendre et c'est à la justice ou à l'opinion neutre de
faire jaillir la vérité. En tout cas, si le pouvoir en place
et l'opposition sont tels que les qualifie l'ex-Président se
positionnant en alternative pour le pays, je considère qu'il y a à
redire. D'abord, sa position vis-à-vis de l'opposition n'a nullement
changé, elle fut et demeure toujours la même. Quant au pouvoir et à y
regarder d’un peu plus près, on peut aisément constater au moins
l’existence d'une ouverture qui manqua tant à la décennie écoulée, alors
que le gouvernement et les hauts responsables de l'État sont, dans
leurs écrasante majorité, issus de la décennie passée. C'est donc dire
que les qualifications du pouvoir actuel et de l'opposition par
l'ex-Président ne résistent pas une seule seconde à la critique.
- Certains de vos camarades ou désormais anciens du RAG et
d’IRA accusent le président Biram Dah Abeid d’« applaudir à tout va » le
régime du président Ghazwani ; pire, ils dénoncent une « dérive » de
la ligne originelle de ces deux organisations. Que leur
répondez-vous ?
- À ce propos, Je rappellerai d’abord que je fus, parmi mes
responsabilités politiques, membre de la direction nationale du
Mouvement de Libération et d'Émancipation des Haratines (El Hor), membre
de la direction du Parti Alliance Populaire Progressiste (APP) et
personne ressource au parti Wiam. J'ai quitté toutes ces formations sans
tambour ni trompette, parce je n'ai jamais ni accepté ni voulu être
entraîné dans une polémique stérile qui n'apporte rien de positif à la
Mauritanie et aux Mauritaniens. Comme je le soulignais plus haut, je
reconnais le droit à quiconque de se défendre, quand bien même
recourt-il à des contre-vérités, à la diffamation et au mensonge pour
s'attirer la sympathie de l’opinion ; c'est de bonne guerre mais
l'opinion visée dans ce cas de figure, qu'elle soit nationale ou
internationale, sait parfaitement qui est Biram Dah Abeid, son courage,
son charisme, ses positions de principes et sa détermination pour la
lutte en faveur des droits humains. Ceci dit, l'histoire et le reste du
parcours édifieront sur toutes les attaques inamicales, infondées et non
constructives à l’encontre de Biram Dah Abeid, d’IRA et de RAG.
- Que pensez-vous de la récente hausse effrénée des prix
des produits de première nécessité ? Le train de mesure pris par le
gouvernement vous parait-il efficace pour enrayer cette spirale et
soulager les citoyens ?
- Je dirai que la hausse des prix des produits de première
nécessité reste cyclique, tant qu'un pays n'arrive pas à assurer son
autosuffisance ; autrement dit, tant qu'il dépend fondamentalement de
l'importation de ces produits. La récente hausse des prix intervenue en
Mauritanie a profondément affecté les Mauritaniens en général et les
maillons faibles de la société en particulier. Le train de mesure
ponctuelle pris par le gouvernement pour soulager les citoyens a
souffert d’un réel manque de suivi et donc d'application rigoureuse, à
tel point que son impact est resté en-deçà des attentes des gens. Cette
montée des prix doit constituer pour nous une alerte afin qu'à l'avenir,
nos politiques soient prévisionnelles.
Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame